Les règles de l’art

Défendre la corrida, cela ne signifie pas soutenir n’importe quel spectacle… Il nous semble au contraire que sont inacceptables des parodies de corridas avec des bêtes, pâles ersatz de toros de combat, dans lesquelles on bafoue allègrement – avec, trop souvent, la bénédiction d’un public complice – toute une série de « fondamentaux », par paresse, par désir de tricherie, parce que c’est plus facile ou moins dangereux. Pour nous, la corrida souffre au moins autant de ces dérives sournoises que des attaques des groupuscules antis !

Rappelons donc quelques uns de ces points dont beaucoup tendent hélas à être dénaturés ou même à disparaître :

 

LA SORTIE DU TORO

Les peones citent le toro et le font courir en ligne droite en tenant la cape à une main. On les voit trop souvent toréer à deux mains, couper la charge du toro, le tordre, et le faire taper contre les planches.

Le matador intervient ensuite pour toréer en général par des passes de cape classiques, « les Véroniques ».

 

LES PIQUES

C’est une phase fondamentale de la lidia. Elle a deux objectifs:

  • Révéler la bravoure, l’instinct offensif du toro. Un toro brave s’élance de loin sur le cheval, pousse avec ses reins, tête basse.
  • Réduire son tempérament et régler son port de tête de sorte qu’il ne la garde pas trop haute durant le reste de la lidia. Le règlement préconise deux rencontres et c’est à la présidence qu’il incombe de rajouter ou non des rencontres supplémentaires selon l’aptitude du toro.

En montant les piques on veillera à ce qu’une des faces planes de la pyramide soit tournée vers le haut, coïncidant de la sorte avec la partie convexe de la hampe.

 

Le picador présente sa monture de face et appelle (“cite”) le toro préalablement placé à distance réglementaire. Lors de la première rencontre, il est inutile de placer le toro loin car il ne sait pas encore ce qui l’attend en revanche si le toro est brave, le maestro pourra le placer de plus en plus loin après chaque rencontre. Il est interdit de vriller, de fermer la sortie à l’animal (voir ci-après “carioca”), de tourner autour de lui, d’insister ou de maintenir le châtiment s’il est mal donné.

Un exemple de “carioca”

 

Le picador devra piquer dans le haut du morillo. Si le toro se sépare du cheval, il est interdit de le piquer à nouveau immédiatement. Les toreros devront l’écarter pour, s’il y a lieu, le remettre à nouveau en suerte tandis que le picador fera reculer son cheval afin de le repositionner.

Une pique régulière

 

Si le toro est « manso », s’il fuit le cheval, le picador pourra légitimement passer les raies afin de le piquer. Huer le picador en pareilles circonstances est aberrant. Durant le tercio de pique le quite désigne l’intervention réglementaire, à tour de rôle, des différents matadors pour éloigner le toro du cheval et ainsi évaluer les effets de la pique.

 

LE QUITE

Durant le tercio de pique le quite désigne l’intervention réglementaire, à tour de rôle, des différents matadors pour éloigner le toro du cheval et ainsi évaluer les effets de la pique.

 

TORÉER DE PROFIL ≠ CHARGER LA SUERTE

Il semble malheureusement qu’un nombre croissant de spectateurs se laisse abuser par une accumulation de passes « sur le voyage », qui sont pourtant à l’opposé de la notion de « dominio », élément fondamental de la lidia. Les illustrations en page suivante en donnent une assez bonne idée.

 

 

L’ESTOCADE

C’est un des moments essentiels de la lidia, le moment de vérité, qu’on a parfois tendance à sous estimer en confondant l’efficacité du geste avec la loyauté dans l’exécution. Rappelons ce qu’en dit C. Popelin : « Si les détails de l’exécution peuvent échapper aux spectateurs les moins avertis ou les moins bien situés pour en juger, l’emplacement des épées révèle inexorablement les déficiences du matador. C’est la raison pour laquelle il leur est donné tant d’importance ».

 

Qualification des coups d’épée d’après leur emplacement.

 

TORO – TORERO

Dans une arène, le matador et le toro ont chacun leur terrain, dans lequel ils imposent respectivement leur initiative. Dès sa sortie du toril, le toro brave choisit le centre de la piste, comme point d’appui. Au cours de ses déplacements, il tolérera mal que quelqu’un lui coupe sa ligne de retraite vers le centre et le chargera dès qu’il la traversera.

Par couardise ou, souvent en fin de combat, le toro change son point d’appui et se met en tablas (proche des barrières). Les terrains sont alors totalement inversés. Si les terrains sont respectés, plus le matador s’éloigne de la barrière, son terrain de prédilection, plus il montre son dominio, sa domination sur l’animal. Mais on voit vraiment la valeur d’un torero lorsqu’il comprend quel est le terrain du toro, va le chercher dans son terrain, quel qu’il soit, et en prend possession.

 

 

LES TERRAINS

Empruntons à Paco Tolosa sa définition :

« Champ d’action dans lequel le taureau et le torero manoeuvrent respectivement. Celui du taureau, généralement enclin à se diriger vers le centre de l’arène, s’étend de l’endroit où il se trouve jusqu’au centre et s’appelle «terrain du dehors ». Celui du torero s’étend de la place qu’il occupe jusqu’à la barrière, et se nomme «terrain du dedans » ; c’est celui dans lequel l’homme se meut avec le maximum de sécurité. Il ne s’agit là que d’une règle générale. Il suffit en effet qu’un taureau préfère le voisinage de la barrière (querencia) pour que les positions respectives de chaque adversaire soient interverties.

D’une manière générale, quand les deux adversaires manoeuvrent dans leurs champs d’action respectifs, le mérite du torero augmente à mesure qu’il s’éloigne de la barrière et qu’il utilise le terrain le plus réduit possible. »

Quelques illustrations au moment de l’estocade :

 

Lors du tercio de piques

Le règlement taurin impose deux lignes permettant de placer picador et toro à une distance suffisante pour que la rencontre ne désavantage pas un toro qui, élancé de trop près, n’aurait aucune chance de montrer sa bravoure. Parfois les picadors la dépassent. D’aucuns vocifèrent alors contre ce dernier en raison d’un demi sabot qui foule la limite infranchissable alors que le toro est éloigné de sa propre ligne. Pourtant, comme disait Montesquieu, « plus d’Etats ont péri parce qu’on a violé les moeurs que parce qu’on a violé les lois ». Cette règle doit donc être écartée dans deux cas :

– Lorsque le toro, manso, est impossible à piquer,

– Plus valorisant encore, lorsque le picador va chercher le toro placé loin dans son terrain (centre), s’éloignant courageusement des tablas qui lui servent d’ordinaire de refuge. Un vif débat eut lieu il y a quelque temps à l’Adac pour savoir s’il fallait supprimer ou non ces barrières imaginaires…

Citer de loin ?

Le torero à Céret sait que le public affectionne l’image d’un toro chargeant de loin le picador. Parfois la première mise en suerte a lieu à plus de dix mètres du picador, quelques applaudissements saluent l’initiative. Or, la première pique est celle où le toro découvre son châtiment, la deuxième permet de jauger sa bravoure et la troisième (aussi nécessaire que les deux autres) de la confirmer. Quel sens y a-t-il alors à placer immédiatement le toro loin alors qu’il est vierge de toute expérience ? N’est-il pas plus pertinent de l’éloigner à la deuxième puis à la troisième pour que, conscient du combat, son choix entre la fuite et l’affrontement soit révélé en pleine lumière ?

« Contrairement à une impression trop courante chez les néophytes, le toreo ne s’improvise pas. L’incertitude du combat est toujours assez grande pour que le torero ne s’écarte pas sensiblement d’un ensemble de connaissances, nées de l’observation des taureaux sauvages et de leur comportement dans l’arène. Toréer n’est pas faire preuve de témérité dans une illusion juvénile de gloire populaire et de richesse, mais apporter un vrai courage à affronter les risques manifestes d’un art fruit de siècles d’expérience, et seul capable d’assurer la victoire de l’homme sur la bête. » Claude Popelin

 

Lors de la faena: Suerte contraria/suerte natural

Le torero devrait la choisir en fonction du toro…

Le terrain de l’homme étant proche de la barrière, cette attirance de l’animal vers un point d’appui précis, la querencia, commande la stratégie du torero. Celui-ci pour marquer les temps de toute suerte, a besoin que le toro ne parte qu’à son appel. Il doit donc l’appeler sur un emplacement choisi en dehors de la zone où le toro démarre d’instinct.

Lorsque le matador torée entre le toro et la barrière, por dentro et qu’à la fin de la suerte il dirige sa sortie vers son point d’appui, on parle de « suerte natural». A l’inverse s’il torée entre le toro et le centre de l’arène por fuera, il coupe sa retraite, on parle alors de « suerte contraria».

 

Lors de l’estocade: suerte contraria/suerte natural

A droite : estocade dans la suerte natural : le matador sort par le terrain de l’homme (grisé).

A gauche : estocade dans la suerte contraria : le matador sort par le terrain du toro (en blanc).

 

“Esta intuición de los terrenos – toro y torero – es el don congénito y básico que el gran torero trae al mundo.”

 

Bibliographie :
• José María de Cossío, Los Toros, Espasa Calpe, Madrid, 1981, Tome 1,
p. 906 à 909.
• Jean-Pierre Darracq, (El Tío Pepe), Afición, Dessins au trait de Don Antonio
Alcade Molinero, Editions Barnier, chapitre « Au cœur de la lidia », 1974,
p. 222 à 224.
• Auguste Lafront (Paco Tolosa), Encyclopédie de la corrida, Illustrations Roger
Dameron, Editions Prisma, Paris, 1950, p. 73, 205, 208, 243, 253.
• José Ortega y Gasset, La caza y los toros, 1960, p. 132.
• Marceliano Ortiz Blasco, Tauromaquia, Volumen 2, Espasa Calpe, Madrid,
1991, p. 1446.
• Claude Popelin, La Tauromachie, Editions du Seuil, 1970, p. 68, 101, 102,
188, 232.
• A.N.D.A, Livret rappelant les fondamentaux de la corrida, 2001.
• Revue artpress2, n°33 « L’Art de la Tauromachie », mai/juin/juillet 2014,
p. 70.
• “Láminas de la lidia”, diario El País, guión y textos Joaquín Vidal,
diseño Manuel Martínez Fuentes, Madrid, 1995.
• Auguste Lafront (Paco Tolosa), Encyclopédie de la corrida, Illustrations Roger
Dameron, Editions Prisma, Paris, 1950, p. 73, 205, 208, 243, 253.
• Claude Popelin, La Tauromachie, Editions du Seuil, 1970, p. 68, 101, 102, 188,
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• Marceliano Ortiz Blasco, Tauromaquia, Volumen 1 y 2, Espasa Calpe, Madrid,
1991.
• A.N.D.A, Livret rappelant les fondamentaux de la corrida, 2001.
• Jean-Pierre Darracq, (El Tío Pepe), Afición, Editions Barnier, 1974.